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La convivance ou le difficile apprentissage de la vie avec les con-s

 

Chronique numéro 2, après les Germinations

 

 

Par Olivier Turquin, écosociologue

 

quino unsplash 350Crédit : Quino Al/UnsplashLors des Germinations, nous avons beaucoup utilisé les mots avec des préfixes en re- et dé- ainsi qu’en bio- ou éco-, voire en anti- ou inter- mais c’est le préfixe con-, et toutes ses déclinaisons (co-, col-, com-), qui décroche haut la main la première place. Ce préfixe fréquemment utilisé en français vient de cum qui signifie avec et ensemble en latin. Et aux Germinations on est très con-.

 

Les forces du con-tradictoire

 

Damien Deville, anthropologue et coauteur de Toutes les couleurs de la terre, résume en quelques mots cette affinité pour le « penser et faire avec et ensemble » qui semble partagée entre les germinateurs. Pour lui, il nous faut « penser notre interdépendance, notre vulnérabilité, notre besoin de lien car les humains vivent nécessairement par, pour et avec les autres ». Notre usage des mots à préfixe con- a été particulièrement fréquent  : coalition, commun(s), conciliation, concept, connecter, coexistence, cohérence, concerné, concevoir, conscience, conclusion, consensus, construire, contrat, confiance, confronter, contourner, contribution, constellation, convention, convaincre, concerter, converger, convivial, concurrence, conciliable, complexe, comprendre, compatible, comportement, compétence…et j’en oublie.

 

Pour la designeuse Sylvia Fredriksson, par exemple, « les communs sont des espaces à potentialiser ensemble. Il faut cesser de mettre les acteurs en concurrence et faire des appels à communs, avec des processus de coapprentissage ». Erwan Lecoeur a souligné pour sa part que « nous sommes de l’assemblage » qui est l’action de mettre et faire tenir ensemble des éléments. Un de nos principaux enjeux partagés serait donc de faire du commun en commun. Facile à dire. Plus difficile à faire.

 

En effet, si j’ai bien compris, « ensemble on va moins vite mais on va plus loin », comme l’affiche souvent le mouvement coopératif. Or on nous rabâche qu’il y a urgence à faire autrement pour éviter le pire, et la majorité des intervenants aux Germinations prônent la rupture, la bascule, la bifurcation… Comme nous l’ont poétiquement exprimé Tanguy Descamps et Romain Olla, « il y a urgence à permettre demain. Le basculement c’est maintenant. On coopère sévère ! Bienvenue dans l’inconnu. » L’émergence n’exige pas de trier les démarches, d’exclure ce qui peut sembler hostile… Même le tempo peut nous surprendre. Car, tempère Hugo Bachelier, « il faut être patient même dans l’urgence ».

 

De l’omniprésence de la connerie

 

Notre usage, parfois un tantinet immodéré, du « penser et faire ensemble » me semble acter notre incapacité à changer les choses « par ordonnance » mais il induit le risque de faire porter la responsabilité de nos difficultés et de nos échecs à un collectif indéfini : « les autres », tous ceux qui n’y comprennent rien à rien, en un mot « les cons ».

 

Quant à nous, les initiés, il serait de notre responsabilité d’entraîner tous ces cons (sous-entendu ceux qui n’ont pas encore atteint notre niveau de conscience) à changer leurs systèmes de valeur et leurs modes de vie afin d’éviter la catastrophe annoncée. Mais les cons ne sont pas idiots et, comme nous, ils ont horreur qu’on leur dise qu’ils se sont trompés, qu’ils ont fait des erreurs et qu’ils doivent changer du tout au tout dans les meilleurs délais. « Il est structurellement impossible de se réconcilier avec les cons », constate Maxime Rovere (1), « car ils ne le souhaitent pas eux-mêmes ; il nous faudra décidément apprendre à faire avec. Mais comment ? ».  Reconnaissons que, bien souvent, nous agissons en pensant que c’est aux cons de faire la démarche en acceptant de penser comme nous. Acceptons aussi qu’ « on est toujours le con de quelqu’un ; les formes de la connerie sont en nombre infini ; et le principal con se trouve en nous-même » (2). Ce qui nous complique diablement la tâche !

 

Maxime Rovere s’aventure pourtant à nous donner une piste : « Soignez vos interactions et vos valeurs suivront ». Les Germinateurs, adeptes du con-, ne devraient pas avoir à forcer leur naturel. Pour leur part, les cons et la connerie étaient a priori absents de nos débats entre gens de bonne volonté, sensibles, avisés et créatifs, réunis pour germiner ensemble entre amis. Ils m’ont pourtant semblés omniprésents en toile de fond à travers les idéologies et les comportements que nous avons brillamment démontés et dénoncés et contre lesquels nous nous efforçons, de manière sans doute mal coordonnée, de lutter.

 

Vive la convivance pour faire du commun en commun

 

Assez récemment, nos académiciens ont introduit dans le Dictionnaire de la langue française le doux mot de convivance, déjà largement utilisé en espagnol et en italien notamment. La convivance est, selon le dictionnaire Larousse, « la capacité de groupes humains différents à cohabiter harmonieusement au sein d'une entité locale, nationale, fédérale, communautaire. » On pourrait ajouter planétaire ou terrestre à la liste de ces entités. Pour Kalina Raskin il faut « faire du vivant notre nouvelle boussole ». J’y souscris et ajouterais volontiers qu’il serait sage de faire de la convivance notre nouvel objectif. Y parvenir implique que nous sachions vivre avec les cons et qu’ils nous tolèrent en retour. L’usage des mots à préfixes con- pourraient nous aider à réussir cette gageure.

 

Terminons par une initiative de mon ami Éric Lenoir (3) qui lance un appel sur Facebook : «Je veux des amis qui me détestent. Ce n’est pas en continuant de discuter sans fin entre nous, entre gens d’accord qu’on sera plus nombreux à savoir vivre ensemble et à préparer le monde qui vient ! On est tous imparfaits, on se déteste sûrement déjà, mais en cherchant bien on devrait trouver quelques points de vue et goûts communs pour avancer ! ». Éric a commencé lundi 9 novembre une grève de la faim en écho à celle de Pierre Larrouturou, afin de faire aboutir une taxation sur les transactions financières avant la fin de l’année. Un combat qui dure depuis….cinquante ans (la taxe Tobin a été proposé en 1972 par le « prix Nobel » d’économie James Tobin) et qui pourrait aboutir si Angela Merkel souhaite en faire un signal fort de son adieu politique.

 

Olivier Turquin

 

(1) Maxime Rovere, Que faire des cons ? Pour ne pas en rester un soi-même, Champs, Flammarion, juin 2020.

(2) M. Rovere, op. cit.

(3) Eric Lenoir, jardinier de son état, a notamment publié Petit traité du jardin punk, apprendre à désapprendre, Champs d’action, Société, éd. Terre vivante, 2018. Il participe au Mycélium poïétique initié récemment pour imaginer des récits d’un monde nouveau.